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Titel
Archives, histoire et identité du mouvement ouvrier.


Herausgeber
De Giorgi, Alda; Charles Heimberg, Charles Magnin
Erschienen
Genève 2006: Collège du Travail
Anzahl Seiten
238 p
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Michel Porret

En 1973, l’historienne Michelle Perrot donne tout son sens à l’histoire du mouvement ouvrier français en étudiant la dimension sociale, politique, symbolique et imaginaire de la grève, cette arme contre le patronat et pour l’amélioration des conditions du travail – salaires, assurances, horaires – (Les Ouvriers en grève: France 1871–1890, Paris / La Haye, Mouton, 1973, 900 p.). Planifiée ou spontanée, locale ou générale (Grande-Bretagne, 1926; France, 1968), réprimée par la police ou l’armée selon Emile Zola dans le roman Germinal (1885), la grève appartient à la «civilisation ouvrière» née avec le siècle de Marx, morte après 1989 avec le temps de la désindustrialisation. Or, que reste-t-il de la «civilisation ouvrière », fruit de la révolution industrielle et du capitalisme? Comment historiciser les sociabilités et les luttes de la «classe ouvrière», matrices de la culture politique et de la conscience de classe des travailleurs? Où situer les racines institutionnelles et idéologiques du syndicalisme «réformiste» ou «révolutionnaire» dans son lien consensuel ou critique avec la social-démocratie? Qui ont été les figures militantes du catholicisme social, du socialisme, du communisme ou encore de l’anarchosyndicalisme à qui le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (Ed. de l’Atelier) a déjà consacré ses 44 premiers volumes dès 1960 grâce à l’énergie de son initiateur Jean Maitron? Au temps de la mondialisation économique et des fusions syndicales, comment penser l’histoire, les espoirs, les solidarités et les attentes démocratiques de la classe ouvrière dans la construction de la prospérité des sociétés occidentales au XXe siècle? Ces préoccupations occupent les 22 chercheurs français, italiens et suisses (historiens, sociologues, archivistes) réunis dans ce volume sur la mémoire du mouvement ouvrier comme facteur identitaire pour l’avenir du «mouvement social».

La réflexion collective problématise la construction des archives du mouvement ouvrier. France, Italie, Suisse: des institutions patrimoniales1 veillent à en conserver les «traces». Difficiles entreprises de la «mémoire ouvrière», ces centres archivent une documentation fragile, car issue des milieux populaires: presse militante, livres, manuscrits, correspondances, photographies, tracts, affiches, drapeaux, objets matériels. En Italie – où le mouvement ouvrier est documenté depuis les grandes grèves de 1943 dans les usines du Nord qui fragilisent le régime mussolinien – note Marco Scavino, le travail est complexe, car les archives des syndicats et des partis de gauche ont subi les destructions fascistes. Histoire du «syndicalisme en Suisse» depuis les années 1880, luttes ouvrières de 1969 en Italie (300 millions d’heures de grève, dont 230 dans l’industrie) qui montreraient autour du «miracle économique» le passage tardif et brutal d’une société rurale à une société industrielle: ces cas résument le dynamisme de l’historiographie du mouvement ouvrier qui doit être internationale et comparative selon l’historien genevois Marc Vuilleumier. L’ouvrage souligne ensuite les statuts et les rôles des archives du mouvement ouvrier comme cadre d’une culture identitaire tournée vers l’avenir de la démocratie continentale en Europe. Si dans les sociétés autoritaires (Espagne franquiste, Allemagne nazie, Etats européens stalinisés), l’ouverture lente des archives éclaire crucialement l’histoire sombre du mouvement ouvrier écrasé par la répression ou l’orthodoxie communiste, ailleurs les archives des grandes centrales (Union syndicale suisse), ainsi que celles de la police politique en démocratie libérale, permettront d’écrire une histoire globale du mouvement ouvrier, entre conservatisme politique et progressisme social. L’archive ouvrière reste ainsi un indispensable patrimoine culturel. Son avenir repose sur sa «sauvegarde» professionnelle pour garder la trace du «mouvement social» qui a modernisé l’Europe dès le XIXe siècle. In fine, la thèse militante de ce beau livre invite à «cultiver la conscience historique du mouvement ouvrier plutôt que diluer sa mémoire dans la nostalgie». L’histoire sociale relèvera ce défi pour contrer intellectuellement la mondialisation économique qui aujourd’hui impose le libéralisme comme seul horizon d’attente régulateur à l’inégalité des sociétés.

1 Divers centres italiens, Maison du Peuple de Saint-Claude, Centre d’Histoire du travail de Nantes, Bibliothèque du Centre d’Histoire du travail du XXe siècle (Université Paris I Panthéon-Sorbonne), Collectif des centres de documentation en histoire ouvrière et sociale (Paris), Fondation Collège du Travail (Genève), Association pour l’Histoire du Mouvement ouvrier (Lausanne), Centre international des recherches sur l’anarchisme (Lausanne), Fondation Pellegrini-Canevascini (Tessin), Schweizerisches Sozialarchiv (dès 1906 à Zurich).

Citation:
Michel Porret: Compte rendu de: Alda De Giorgi, Charles Heimberg, Charles Magnin (éditeurs): Archives, histoire et identité du mouvement ouvrier. Actes de la rencontre internationale organisée à Genève les 7 et 8 mai 2004, publiés par la Fondation Collège du Travail et l’Association pour l’étude de l’histoire du mouvement ouvrier (AEHMO), Genève Collège du Travail, 2006. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 56 Nr. 4, 2006, pages 506-508.

Redaktion
Veröffentlicht am
20.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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